Chine et Alena : Trump menace mais négocie. La rediscussion de l’Alena, rugueuse, reprend vendredi. Avec Pékin, le conflit porte sur les technologies.

 

 

Après les promesses de campagne, le passage à l’action. Donald Trump a profité de l’été pour attaquer deux sujets commerciaux : la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) avec le Canada et le Mexique, dont le deuxième round s’ouvre vendredi 1er septembre à Mexico ; l’ouverture d’une enquête sur la Chine, soupçonnée d’extorquer la propriété intellectuelle des entreprises américaines en exigeant des transferts de technologie en contrepartie de leur implantation sur le marché chinois.

Remarque préliminaire, Washington a choisi pour l’instant de rester dans les règles internationales de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le président Trump a renoncé à ses promesses de candidat les plus fortes, comme l’instauration d’une taxe sur les importations, censée rapporter 1 000 milliards de dollars (842 milliards d’euros) sur dix ans. Il n’a pas augmenté les droits de douane vis-à-vis de la Chine à 45 %, ni ceux vis-à-vis du Mexique à 35 %, mesures qui auraient conduit le pays à taxer les importations de 15 % en moyenne, du jamais-vu depuis les années 1930. Seule décision, la non-ratification du traité transpacifique négocié par Barack Obama, mais dont la candidate démocrate Hillary Clinton ne voulait pas.

Alors, Donald Trump est-il un catcheur qui fait des moulinets mais ne frappe pas, un « Gulliver enchaîné », pour reprendre l’expression de Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC ? Oui et non, si l’on en croit Merit Janow, doyenne de l’école d’affaires publiques et internationales (SIPA) de l’université de Columbia. « Il ne faut pas se concentrer uniquement sur Trump et le commerce. L’important, c’est qu’il a trouvé un large soutien politique sur le sujet, dépassant le clivage gauche-droite. Hillary Clinton aussi était contre le traité transpacifique. On peut aujourd’hui dire que les paroles ont été plus fortes que les actions, mais ces paroles diffusent le sentiment que les Etats-Unis ne sont pas un partenaire fiable, qu’il veut se désengager du système multilatéral et encourage les autres pays à suivre son exemple, en pire », analyse cette experte du commerce.

 

L’abcès de fixation est le déficit commercial américain

Surtout, le président Trump joue sur deux tableaux : il négocie mais menace d’agir unilatéralement, comme il l’a fait dimanche 27 août. « Nous sommes dans la renégociation de l’Alena, le pire accord commercial jamais conclu, avec le Mexique et le Canada. Tous deux sont très difficiles, allons-nous devoir en finir ? », a menacé le président sur Twitter, faisant rechuter le peso mexicain, même si ses « Tweet-tigre-de-papier » impressionnent moins qu’il y six mois. Même tactique vis-à-vis de la Chine, où le président se mobilise, mais n’a pas encore pris de sanctions.

Sur l’Alena, l’abcès de fixation est le déficit commercial américain, qui a atteint 64 milliards de dollars en 2016 avec le Mexique (pour 294 milliards d’importations) et 11 milliards avec le Canada (274 milliards d’imports). Donald Trump brandit cet indicateur pour accuser l’Alena, qui a conduit au triplement du commerce nord-américain depuis 1994, d’avoir détruit 700 000 emplois américains. Canadiens et Mexicains répètent que ce critère n’est pas pertinent dans un monde où les multinationales atomisent la production : l’important est de créer de la valeur dans son pays. Il n’empêche, ces chiffres, que Trump utilisait dans les années 1980 contre le Japon et aujourd’hui contre l’Allemagne, frappent les esprits.

Mi-août, à Washington, la première séance de négociations a été rugueuse. Pour réduire ce déficit, le responsable du commerce américain, Robert Lighthizer, a demandé d’augmenter le taux de composants nord-américains exigé dans un produit – aujourd’hui de 62,5 % – pour qu’il puisse circuler librement. M. Lighthizer a surtout demandé qu’un taux minimal « substantiel » de valeur créée aux Etats-Unis soit imposé. Refus de Mexico et d’Ottawa, mais aussi de l’industrie automobile, qui veut pouvoir organiser librement sa production transfrontalière.

 

Deux visions s’affrontent

Depuis 1994, l’industrie américaine a beaucoup délocalisé au Mexique. Deux visions s’affrontent, celle des syndicats américains qui accusent l’Alena d’avoir détruit les usines, celle du Wall Street Journal qui pense au contraire que ce traité est « largement responsable de la survie de l’industrie automobile américaine », qui a pu rester compétitive et produit aux Etats-Unis un million de véhicules de plus depuis 1994. A cause de sa quantité inépuisable de main-d’œuvre, le salaire manufacturier horaire reste dérisoire au Mexique. Selon le Wall Street Journal, il a stagné de 1,77 à 2,17 dollars en vingt-cinq ans, tandis que celui des Etats-Unis passait de 12 à 20 dollars.

Chacun est conscient qu’il faut moderniser ce traité signé en 1992 sous Bush père et ratifié en 1993 sous Bill Clinton. Des clauses sociales et salariales minimales ont déjà été négociées avec Mexico… mais, comme le note ironiquement Chad Bown, chercheur à Washington pour le Peterson Institute for International Economics, « c’était dans le traité transpacifique » rejeté par M. Trump. Deuxième sujet, la remise en cause des panels d’arbitrage auxquels tiennent Canadiens et Mexicains, mais aussi les entreprises américaines qui n’ont pas confiance dans la justice de leurs voisins du Sud.

La négociation est censée être conclue avant la fin de l’année, 2018 étant une année présidentielle au Mexique et d’élection de mi-parcours aux Etats-Unis, mais les spécialistes comme Pascal Lamy jugent ce délai intenable.

 

« Nous sommes en guerre économique avec la Chine »

L’autre front concerne la Chine (347 milliards de déficit sur 463 milliards d’importations) et les transferts forcés de technologie. « Nous sommes en guerre économique avec la Chine. L’un d’entre nous sera la puissance hégémonique dans vingt-cinq ou trente ans, et ce sera eux si nous continuons dans cette voie », expliqua, juste avant d’être limogé en août, Steve Bannon, conseiller suprémaciste blanc du président. M. Trump voulait initialement attaquer Pékin pour manipulation de son cours de change, mais il en a été dissuadé cet hiver, lors d’une réunion à la Maison Blanche, par le patron de JP Morgan, James Dimon, et son conseiller économique Gary Cohn. Il a entre-temps lancé une offensive sur l’acier, mais le cœur du conflit porte désormais sur les technologies.

L’Amérique découvre que deux entreprises chinoises, Alibaba et Tencent, ont fait leur entrée dans les dix premières capitalisations high-tech de la planète, valorisées 400 milliards de dollars chacune. Dans son programme « Made in China 2025 », le président Xi Jinping entend atteindre un quota de 70 % de valeur ajoutée chinoise dans les produits fabriqués en Chine et veut obtenir une autonomie dans dix secteurs stratégiques, comme la robotique et les semi-conducteurs. Tant que la Chine agissait en simple sous-traitant, à l’image des iPhone, « conçus en Californie, assemblés en Chine », les industriels américains y trouvaient leur compte. Ils sont pris de panique à l’idée d’être concurrencés sur le savoir-faire. « Nous nous opposerons à tout pays qui force illégalement les entreprises américaines à transférer leur technologie contre un accès au marché », a dénoncé mi-août M. Trump, soutenu par le patronat. « Le vol de notre propriété intellectuelle par des pays étrangers coûte à notre nation des millions d’emplois et des milliards de milliards de dollars chaque année. »

Une querelle juridique s’engage : les Chinois ont mis en place l’arsenal protecteur exigé par l’OMC, des législations et des tribunaux pour protéger la propriété intellectuelle, mais Washington estime que la protection n’est pas de facto appliquée. L’équipe Trump décidera au cours des prochaines semaines si elle déclenche des rétorsions en vertu de l’article 301 de loi sur le commerce de 1974. Cette stratégie inquiète Chad Bown, du Peterson Institute : la loi fleure bon la guerre froide et n’était plus utilisée depuis la création en 1994 de l’OMC et d’un système international de règlement des conflits. Si, in fine, Trump agit unilatéralement, les projecteurs seront braqués sur le ton et la méthode Trump et pas sur les problèmes, réels, que pose la Chine.


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